Dans L'Ombre / 2011 by Gwen Gerard

La folie et la grâce
Notes sur une installation de Gwen Gérard

Entrer. C’est d’abord l’écran. Puis l’image en retour, un duel d’ombres s’engage, celle qui sourd, à basse intensité, attend, juste et sobre contour, sans grains, sans traits, sans je, sans voix, et la vôtre, qu’on imagine passée au tamis du lin, de son sable de lumière, à contre-sens et contre-temps de sa courbe spectrale, passée, déjà, de l’autre côté du miroir, et en allée butter sur les capitons, les cerceaux blancs qui servent à tenir les débords improbables du corps, ou sur la pièce à sons.

Et douze apôtres de lumière. Leurs têtes de coptes fatigués. La grâce en chacun d’un aleph improbable. Chaque lueur est un nom. Et les mémoires ? Il y a douze apôtres, mais quatre évangiles. Il y a douze lanternes, et quatre paroles. Quatre canons de l’enténèbrement. De la plus grande singularité. C’est qu’on encamisole rudimentaire quand trop de singulier se met en vibration. Un vrai bourdon, parfois, un territoire sans marque, une erre infinie.

Et s’installe soudain ce paradoxe sous l’œil, celui de la tête folle et de sa mousseline, des pensées agitées, des phases fébriles et de leur douce somnolence, une et leur multiple, du bruit, de la violence, de sa logique privative, du langage séquestré. Thème – et preuve de la difficulté. Comment nommer ? Les catégories s’arrangent pour ombrer, comme elles cherchent à localiser. L’ombre, elle, quand on est au piémont de l’âme, donne à voir. Elle est survie projetée. Croyance, au moins, du survivre. Ou de la métamorphose. Celle qui dans le caillou craint le minotaure. Dans le moineau anticipe le tonnerre. Dans l’air disperse les cendres. C’est le pari sans métaphore de ces capsules, de l’anti-forme de ces doublures, leurs filandres, leurs sangs cardés. Quatre, cette fois, comme il y en a trois ailleurs qui ont la grâce d’une renaissance. Trois corps contourés et pleins en torsade : les cariatides du miroir rouge. Le cri, et les chuchotements. Les sœurs, et ce tesson qui passe et lacère l’intime. En pleine lumière. Et on ne voit pas. Et puis ces quatre femmes-fil, dans leur ombre. Explore-t-on leur symbole ? Leur expansive minimalité ? Femmes flottantes et murales dans le même temps, dont on reste à investiguer la pulsion. La façon dont ça se noue dans leur dos. Les points de repli. Leurs broderies. Le soin et le vertige. Comment le sang leur coule.

Un transfert, un agencement. Eva Hesse et Georges de La Tour. Leur rencontre de jute. Ou de lin. D’autres noms viennent aussi. Mais les figures sont en absence. Elles dérivent, flux, immatériel sonore retenu par la projection. Comme une chambre à fantasme. Un coffre à secrets. Une tête hermétique et tant peuplée. Son, sang, sable : les qualités premières de ceux qui partent.

Encore ceci. Un schéma mystique, sans le support de foi. Umbrae est à l’homme, ce que lumen est à l’ange, lux à Dieu – et tenebrae à l’animal. Un déplacement.

Dans l’ombre n’a pas d’antithèse.

Nycéphore Burladon
1/03/2012

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